Article dans SAGA Information de Février 2005 (n°244)

Dimanche 26 décembre 2004 , à 00:58: 50 UTC
Magnitude 8.9, SUMATRA (Indonésie)

Plus de 200 000 morts

 

La catastrophe en Asie: un Krakatoa bis ?

JAKARTA (AFP) - Les puissants raz-de-marée, qui ont fait plus de 170 000 morts en Asie, évoquent ceux provoqués en 1883 par le volcan Krakatoa, et pourtant ces deux cataclysmes diffèrent, selon les spécialistes.

 


Fig. 9 - Le cri, du peintre norvégien d'Edvard Munch (1883).

Les 26 et 27 août 18 83, eut lieu le plus grand phénomène terrestre jamais observé. Après être resté inactif pendant trois cents ans, le Krakatoa, situé au milieu du détroit de la Sonde, explosa littéralement, son cône s'effondrant dans le cratère central.

La déflagration fut la plus forte jamais enregistrée sur Terre, entendue à plus de 4 000 km, notamment en Australie. Les vagues déclenchées par l'explosion, de quarante mètres de haut selon des témoignages, dévastèrent les rivages de Java et de Sumatra et firent le tour du monde, avec des effets sentis jusque dans la Manche. Environ 36 000 personnes périrent en Indonésie.

Atje Purbawinata, un volcanologue indonésien, connaît bien le Krakatoa, appelé localement Krakatau, et assure que le volcan maudit reste gravé dans la mémoire collective des Javanais de la côte ouest.

A l'origine des deux catastrophes, explique-t-il, une même raison : la convergence de deux plaques tectoniques, l'indienne et l'asiatique, qui entrent en friction à l'ouest de Sumatra et provoquent des tsunamis, vagues d'origine sismique. Mais l'origine de ces raz-de-marée est différente dans le cas du Krakatoa (éruption volcanique) et dans celui de la récente catastrophe (tremblement de terre).

Les premières données sur le séisme de dimanche montrent, selon le volcanologue, que les vagues ont progressé à environ 600 à 700 km/h, pour aller dévaster l'Inde et la Thaïlande. En 1883, les vagues du Krakatoa avaient avancé à 800 km/h. "Mais dimanche dernier les vagues étaient moins hautes", note-t-il.

« Les tsunamis de dimanche n'ont pas touché le monde entier », ajoute M. Purbawinata qui conclut que l'explosion du Krakatoa a libéré une « plus grande puissance ».

Concernant l'éruption du Krakatoa, « beaucoup de l'énergie est partie dans l'atmosphère », relève-t-il, alors que dimanche « toute l'énergie a été transférée du fond de la mer à la colonne d'eau et donc il y a plus d'eau qui a reçu de l'énergie ».

En d'autres termes, explique-t-il, les vagues du Krakatoa, bien qu'énormes, ont pu traverser les océans avec une onde restant limitée à quelques dizaines de mètres en surface.

Enfin, les raz-de-marée de dimanche ne devraient pas avoir les effets à long terme constatés en 1883.

Après l'explosion cataclysmique du Krakatoa, le climat de la planète fut affecté. La masse de poussière envoyée dans l'atmosphère fut telle qu'elle provoqua pendant trois ans des couchers de soleil rougeoyants aussi loin qu'aux Etats-Unis ou en Europe.

Le 26 novembre 18 83, le ciel de Paris s'embrasa, alors que le soleil était déjà couché, comme sous l'effet d'un gigantesque incendie. Le même spectacle incroyable fut observé dans de nombreux pays du monde. Des musulmans, dans les pays arabes, annoncèrent officiellement la venue du Messie.

Le ciel rougeoyant de la célèbre peinture récemment volée (Fig. 9), "Le Cri" du Norvégien Edvard Munch (1863-1944), s'explique par cette éruption, selon une étude scientifique.

Au tour des Canaries ?

Tandis que le nombre de victimes en Asie du sud-est n'en finit pas de progresser et que les premières répliques risquent de créer d'une heure à l'autre un nouveau tsunami dans la région, des études récentes nous rappellent qu'une catastrophe du même type pourrait avoir lieu au coeur de l'océan Atlantique et engendrer des dégâts considérablement plus importants, sinistrant une zone côtière allant du nord du Canada au Brésil, et touchant de plein fouet le littoral marocain et européen.

Un article de Science & Nature d'octobre 2000, Mega-tsunami: Wave of Destruction (Mega-tsunami : vague de destruction), dans lequel une catastrophe d'une ampleur dramatique est décrite à partir de l'effondrement partiel d'un volcan situé sur l'une des îles Canaries, au large du Sahara occidental. Cet article repose lui-même sur les travaux du professeur Bill McGuire, et son livre Apocalypse : a Natural History of Global Disasters , et développe l'information déjà diffusée par la BBC. Cette première enquête rapporte l'avertissement lancé par des experts en géologie de l'University College de Londres au gouvernement anglais au sujet d'une "gigantesque vague qui pourrait détruire de nombreuses communautés côtières". Ils évoquent "l'effondrement d'un volcan aux Canaries (qui) pourrait envoyer un mur d'eau de plusieurs centaines de mètres de haut qui balaierait par-delà de l'Atlantique", mais aussi pouvant « submerger une grande partie de la côte occidentale de l'Angleterre. »

Scénario catastrophe

Les experts insistent sur le fait que ce drame pourrait ne pas avoir lieu pendant des millénaires, mais, comme le rappelle le docteur Simon Day, du Centre de recherche Benfield Greig Hazard, l'état actuel du volcan Cumbre Vieja sur l'île de La Palma est tellement instable qu'il pourrait tout simplement « s'effondrer durant une éruption » et enverrait « un demi-million de milliard de tonnes de roche s'écraser dans la mer d'un seul coup ». Une modélisation informatique démontre qu'un tel événement créerait invariablement ce qu'on nomme un mega-tsunami, provoquant une vague initiale de 650 mètres, qui se déplacerait dans l'océan à la vitesse vertigineuse de 720 kilomètres par heure.

Le professeur McGuire et le docteur Doug Masson, du Centre océanographique de Southampton, pondèrent toutefois : « il pourrait y avoir cinq éruptions avant que le volcan ne s'effondre », « ces effondrements peuvent faire des grosses vagues, mais certainement pas à l'échelle qui a été annoncée ».

Mais le centre de recherche Benfield Hazard n'est pas aussi réservé sur la question. Selon un communiqué de presse présent sur leur site, Why the only certainly about the La Palma tsunami is that it WILL happen (« Pourquoi la seule certitude au sujet du tsunami de La Palma, c'est qu'il VA se produire »), La Palma est désormais "instable par nature", et une nouvelle éruption (du Cumbre Vieja) engloutirait la moitié de l'île et la vague engendrée "dévasterait le littoral oriental des États-Unis entièrement".

Simon Day a entamé une cartographie de La Palma en 1994. Ses recherches ont permis de découvrir progressivement des douzaines de conduits volcaniques formés durant plusieurs centaines de milliers d'années par l'action de diverses éruptions. Les différents résultats de ces recherches conduisent à la même conclusion : la moitié occidentale du volcan s'est graduellement séparée de la partie orientale (notamment lors de l'éruption de 1949, lorsque le volcan a glissé de 4 mètres vers la mer, comme le précise l'article du journaliste indépendant Gwyenne Dyer), ajouté au fait qu'en étant chauffée par le magma remontant à la surface, l'eau joue un rôle important de pression sur la roche. Le docteur Day prévient d'ailleurs qu'il existe "une possibilité que l'effondrement puisse plus ou moins survenir au cours du siècle à cause du réchauffement global (de la planète)", entraînant « 500 billions de tonnes de rocher directement dans l'océan ».

Une vague de 650 mètres de haut

Travaillant de concert avec l'Institut Fédéral suisse de technologie de Zurich pour déterminer l'impact d'un tel événement, le docteur Day évoque une catastrophe qui serait malheureusement bien pire que le drame déjà colossal qui vient de frapper l'Asie du sud-est. Une première modélisation en laboratoire a permis de reconstituer l'effondrement. Les résultats sont incroyables : la roche, en plongeant dans l'océan, pourrait créer une vague de 650 mètres de haut. Day reconnaît que « les modélisations reposent toujours sur des incertitudes », mais que ces 650 mètres sont « une estimation prudente », ce qui laisse à penser que les différentes projections pourraient avoir fourni des données plus importantes encore, certaines prédisant "1 à 3 kilomètres", qui perdraient sans aucun doute de la force dans la traversée de l'Atlantique, mais "mesureraient encore plusieurs dizaines de mètres en frappant les États-Unis".

La question, c'est quand ?

« La dernière éruption a eu lieu en 1971 et il est possible que les suivantes ne frappent que dans les décennies... ou les siècles à venir. » La probabilité d'un tsunami géant dans la prochaine centaine d'année est estimée toutefois par le docteur Day à 5%. Et il restera alors à New-York et aux autres villes de la côte est des États-Unis une chance de se préserver : « les volcans n'entrent pas en éruption sans prévenir », dit McGuire. Mais, comme le rappelle Gwynne Dyer : « les désastres naturels qui affectent la planète entière, que les scientifiques appellent Global Geophysical Events (gee-gees en raccourci), sont au nombre de deux : ceux pour lesquels vous pouvez faire quelque chose, et ceux pour lesquels vous ne pouvez pas. Quand les gouvernements sont confrontés aux premiers, ils peuvent y répondre pour une large part ».

Tsunami : le risque existe aussi en Méditerranée.

L'effroyable catastrophe qui vient de s'abattre sur l'océan Indien a réveillé de vieilles craintes dans d'autres parties du monde sur le thème : et si la même chose arrivait chez nous ? C'est notamment le cas sur le pourtour du bassin méditerranéen où des tsunamis ont déjà sévi dans un passé pas si lointain.

L'île de Rhodes pourrait devenir un Phuket grec, avertit le directeur de l'Institut géodynamique de l'Observatoire d'Athènes, Gérassimos Papadopoulos, en référence à l'île thaïlandaise. Le 9 juillet 19 56, en effet, une lame de 25 mètres de haut s'est abattue sur l'île d'Amorgos, dans les Cyclades, au sud-est de la mer Egée. A titre de comparaison, les murs d'eau qui ont balayé les rivages de l'océan Indien ne mesuraient que 15 mètres... D'après les scientifiques, cette hauteur exceptionnelle pourrait être due à une avalanche sous-marine, phénomène fréquent en Méditerranée, provoqué par le tremblement de terre de magnitude 7,8 à l'origine de l'onde dévastatrice. Par chance, on ne compta que quatre morts. Mais aujourd'hui, compte tenu du développement touristique d'Amorgos et des îles environnantes, comme Rhodes, le bilan humain serait certainement plus lourd.

Au total, près d'une vingtaine de grands tsunamis ont été recensés depuis deux mille ans en Méditerranée, principalement en Grèce, en Turquie, au sud de l'Italie et en Sicile ainsi qu'au large des côtes du Maghreb. Soit à peine un par siècle, ce qui est peu. Surtout si l'on compare avec le Pacifique qui concentre 80% de l'activité sismique du globe et dont les côtes sont fréquemment ravagées. Une trentaine de tsunamis de forte ampleur ont été dénombrés sur cette zone, beaucoup plus vaste il est vrai, au cours des quarante dernières années.

Essentiellement provoqués par le glissement de la plaque africaine, au sud, sous la plaque eurasienne, au nord, les séismes de la zone méditerranéenne sont moins violents que dans le Pacifique ou l'océan Indien. Leur magnitude se situe au maximum entre 7,5 et 8, rarement au-delà, explique Emile Okal, géophysien à la Northwestern University (Etats-Unis). Un tremblement de terre de magnitude 9 est impossible car il n'existe pas en Méditerranée de système de failles cohérent sur une distance suffisamment longue, d'un millier de kilomètres, comme c'est le cas au large du Chili ou de l'Indonésie.

Autre particularité de la région : le volcanisme, très actif notamment en mer Egée et dans les îles éoliennes, peut aussi susciter des tsunamis dévastateurs comme ce fut le cas lors de l'explosion de l'île de Santorin, vers 1600 avant Jésus-Christ, où des vagues géantes ont déferlé sur la Crète et la Turquie. Pour beaucoup d'historiens, ce cataclysme pourrait être à l'origine du célèbre mythe de l'Atlantide...

Il faut créer en Méditerranée un système d'alerte comparable à celui qui existe depuis 1948 dans le Pacifique et qui a fait cruellement défaut dimanche dans l'océan Indien, plaide Gérassimos Papadopoulos. Son appel sera-t-il entendu ? Car si le risque existe, la faible récurrence du phénomène atténue fatalement sa perception tant par les autorités politiques que par les populations concernées. Il est plus facile de réunir des fonds, de se coordonner, de surmonter des conflits, et même, tout simplement, d'organiser des exercices d'évacuation quand la menace est prégnante, comme c'est le cas à Hawaï ou au Japon.

Ce qui vient de se passer en Asie va peut-être nous amener à réfléchir, même si ce n'est pas une priorité pour les pays, et on ne peut que le regretter, estime Paul Tapponnier, directeur du laboratoire de tectonique de l'Institut de physique du globe de Paris. Qu'en sera-t-il dans six mois, quand l'émotion de ces derniers jours sera retombée ?

Marc Mennessier.

In Le Figaro du 30/12/04.

La surveillance et la prévention

La prévention et la surveillance sont devenues de véritables préoccupations pour les pays dont les populations risquent d'être touchées lors de l'arrivée d'un tsunami sur la côte.

Il existe un système d'alerte aux tsunamis dans le Pacifique depuis 1948 ; c'est à la suite de la catastrophe du 1er avril 1946 à Hawaii que les États-Unis ont voulu protéger les îles hawaïennes. Mais ce n'est qu'à partir de 1965 après les terribles tsunamis d'origine sismique survenus au Chili en 1960 et en Alaska en 1964, que de nombreux pays ont décidé de s'unir pour mettre en place un système international dans l'Océan Pacifique, là où 80  % des tsunamis se produisent.

Le système Pacifique d'alerte de tsunamis, basé à Hawaii, regroupe les systèmes américain, russe, japonais, chilien.Au total, 28 pays sont membres du système Pacifique. Ses objectifs sont de détecter, de localiser les tremblements de terre dans le Pacifique pour déterminer leurs conséquences (tsunamis) et fournir des renseignements aux pays et populations concernés, afin de les prévenir et essayer de pouvoir les protéger.

D'ailleurs, ce système d'alerte gère également un centre international d'information sur les tsunamis, qui fournit toute une série de renseignements et de conseils techniques. Pour exemple, lors de l'arrivée des premières secousses sismiques, se réfugier sur des hauteurs permet de sauver de nombreuses vies humaines.

On peut aussi ajouter que des pays comme le Japon qui est particulièrement exposé aux risques a mis en place des moyens importants pour la prévention des risques (information, construction de digues.). En effet, seulement 15 % des 150 tsunamis qui ont frappé le Japon ont fait des dégâts matériels ou des victimes.

Le fonctionnement du système consiste en des stations d'alerte sismique, des détecteurs sous-marins et des points de diffusion d'information dans tout le bassin Pacifique. Les données des stations sismiques peuvent permettre de localiser instantanément un séisme et de déterminer si celui-ci peut entraîner un tsunami.

De plus, en pleine mer, des bouées « spéciales » sont placées stratégiquement. Ce sont des stations sous-marines de détection des tsunamis en pleine mer : le système DART.


Fig. 10
- Schéma d'un détecteur de tsunami DART (Deep-ocean Assessment and Reporting of Tsunamis).

 

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